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L’AUBERGE DU SOLEIL BLEU.

tait ce costume, un peu trop coquet peut-être pour la saison et le pays, mais que nous justifierons d’un mot ; le marquis venait de suivre la chasse avec la belle Yolande, et il s’était adonisé de son mieux, voulant soutenir son ancienne réputation de braverie, car il avait été admiré au Cours-la-Reine parmi les raffinés et les gens du bel air.

« La soupe à mes chiens, un picotin d’avoine à mon cheval, un morceau de pain et de jambon pour moi, un rogaton quelconque à mon piqueur, » dit le marquis jovialement en prenant place au bout de la table, près de la Soubrette, qui, voyant un beau seigneur si bien nippé, lui avait décoché une œillade incendiaire et un sourire vainqueur.

Maître Chirriguirri plaça une assiette d’étain et un gobelet devant le marquis ; — la Soubrette, avec la grâce d’une Hébé, lui versa une large rasade, qu’il avala d’un trait. Les premières minutes furent consacrées à réduire au silence les abois d’une faim de chasseur, la plus féroce des faims, égale en âpreté à celle que les Grégeois nomment boulimie ; puis le marquis promena son regard autour de la table, et remarqua parmi les comédiens, assis près d’Isabelle, le baron de Sigognac, qu’il connaissait de vue, et qu’il avait croisé en passant avec la chasse devant le char à bœufs.

Isabelle souriait au Baron, qui lui parlait bas, de ce sourire languissant et vague, caresse de l’âme, témoignage de sympathie plutôt qu’expression de gaieté, auquel ne sauraient se méprendre ceux qui ont un