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L’AUBERGE DU SOLEIL BLEU.

qui faillirent renverser la servante et se répandirent dans la salle sautant, gambadant, cherchant les reliefs sur les assiettes desservies et en une minute accomplissant avec leurs langues la besogne de trois laveuses de vaisselle.

Quelques coups de fouet vigoureusement appliqués sur l’échine, sans distinction d’innocents et de coupables, calmèrent comme par enchantement cette agitation ; les chiens se réfugièrent sous les bancs, haletants, tirant la langue, posèrent leurs têtes sur leurs pattes ou s’arrondirent en boule, et le cavalier, faisant bruyamment résonner les molettes de ses éperons, entra dans la chambre où mangeaient les comédiens avec l’assurance d’un homme qui est toujours chez lui quelque part qu’il se trouve. Chirriguirri le suivait, le béret à la main, d’un air obséquieux et presque craintif, lui qui cependant n’était pas timide.

Le cavalier, debout sur le seuil de la chambre, toucha légèrement le bord de son feutre et parcourut d’un œil tranquille le cercle des comédiens qui lui rendaient son salut.

Il pouvait avoir trente ou trente-cinq ans ; des cheveux blonds frisés en spirale encadraient sa tête sanguine et joviale, dont les tons roses tournaient au rouge sous l’impression de l’air et des exercices violents. Ses yeux, d’un bleu dur, brillaient à fleur de tête ; son nez, un peu retroussé du bout, se terminait par une facette nettement coupée. Deux petites moustaches rousses, cirées aux pointes et tournées en croc, se tortillaient sous ce nez comme des virgules, faisant symé-