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L’AUBERGE DU SOLEIL BLEU.

et singulier. — Le blanc en paraissait presque bleu, tant les prunelles y tranchaient par leur brun sombre, et tant la double ligne de cils était épaisse et fournie. En ce moment ces yeux étranges exprimaient une admiration enfantine et une convoitise féroce, et ils se tenaient opiniâtrément fixés sur les bijoux de l’Isabelle et de la Sérafine, dont la petite sauvage, sans doute, ne soupçonnait pas le peu de valeur. La scintillation de quelque passementerie d’or faux, l’orient trompeur d’un collier en perles de Venise l’éblouissaient et la tenaient comme en une sorte d’extase. Évidemment elle n’avait, de sa vie, rien vu de si beau. Ses narines se dilataient, une faible rougeur lui montait aux joues, un rire sardonique voltigeait sur ses lèvres pâles, interrompu de temps à autre par un claquement de dents fiévreux, rapide et sec.

Heureusement personne de la compagnie ne regardait ce pauvre petit tas de haillons secoué d’un tremblement nerveux, car on eût été effrayé de l’expression farouche et sinistre imprimée sur les traits de ce masque livide.

Ne pouvant maîtriser sa curiosité, l’enfant étendit sa main brune, délicate et froide comme une main de singe, vers la robe de l’Isabelle, dont ses doigts palpèrent l’étoffe avec un sentiment visible de plaisir et une titillation voluptueuse. Ce velours fripé, miroité à tous ses plis, lui semblait le plus neuf, le plus riche et le plus moelleux du monde.

Quoique le tact eût été bien léger, Isabelle se retourna et vit l’action de la petite, à qui elle sourit ma-