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LE CAPITAINE FRACASSE.

Tyran, je me contenterais d’un brouet lacédémonien s’il était servi sur l’heure ! »

Le baron de Sigognac ne disait rien et ne témoignait aucune impatience ; il avait mangé la veille ! Dans les longues disettes de son château de la faim, il s’était de longue main rompu aux abstinences érémitiques, et cette fréquence de repas étonnait son sobre estomac. Isabelle, Sérafine ne se plaignaient pas, car la montre de voracité ne sied point aux jeunes dames, lesquelles sont censées se repaître de rosée et suc de fleurs comme avettes. Le Matamore, soigneux de sa maigreur, semblait enchanté, car il venait de resserrer son ceinturon d’un point, et l’ardillon de la boucle claquait librement dans le trou du cuir. Le Léandre bâillait et montrait les dents. La Duègne s’était assoupie, et sous son menton penché regorgeaient en boudins trois plis de chair flasque.

La petite fille, qui dormait à l’autre bout du banc, s’était réveillée et redressée. On pouvait voir son visage qu’elle avait dégagé de ses cheveux qui semblaient avoir déteint sur son front tant il était fauve. Sous le hâle de la figure perçait une pâleur de cire, une pâleur mate et profonde. Aucune couleur aux joues, dont les pommettes saillaient. Sur les lèvres bleuâtres, dont le sourire malade découvrait des dents d’une blancheur nacrée, la peau se fendillait en minces lamelles. Toute la vie paraissait réfugiée dans les yeux.

La maigreur de sa figure faisait paraître ces yeux énormes, et la large meurtrissure de bistre qui les entourait comme une auréole leur donnait un éclat fébrile