Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/263

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dérobée en de si rares minutes, restait imprécise, fuyante, insaisissable au souvenir, ne se montrant qu’en de brusques éblouissements, qui enivraient l’âme, mais laissaient les yeux inassouvis. Aussi éprouvaient-ils un indicible bonheur à compléter la vision, à attarder leur contemplation à des détails évoqués souvent en vain.

Elle plongeait son regard dans les yeux du chevalier, s’étonnait de l’envahissement de la claire prunelle par la pupille, qui s’épanouissait, pareille au cœur noir d’une fleur d’azur, élargissait son ombre fluide, comme pour mieux laisser voir l’âme.

Ses yeux à elle, sous l’irradiation des cils, semblaient des soleils noirs, du velours plein de diamants, un infini d’ombres et de lueurs. Leur scintillation profonde engourdissait l’âme, absorbait la volonté et donnait l’alanguissant désir de s’endormir à jamais dans une nuit d’éternelles délices.

Elle l’avait rêvé toujours pâle sous un ruissellement de pourpre et s’émerveillait maintenant de cette carnation blonde, si doucement rosée, gardée pure malgré la rude vie du soldat ; des cheveux clairs roulant en longues boucles, de