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au désordre de mes pensées : j’y assiste comme le médecin impuissant qui analyse sa propre agonie. On ne résiste point à un fléau. Il faut le laisser épuiser toute sa rage, avant d’expirer ou de guérir. Guérir ?… Le mal a-t-il même distillé pour moi tout son venin ? Non ; je le sais bien, ce n’est rien encore. Je voudrais, en tuant cet homme quelques heures plus tôt, échapper à l’épreuve. Je ne le dois pas : il me reste à voir ces amants l’un près de l’autre, à épier leurs aveux et leurs transports… Alors peut-être, l’excès de la fureur et de la honte, comme le choc du noyé, qui touche le fond de l’eau, le fait remonter, me rejettera hors de cette folie.

Allons !… Il le faut… Je le veux. Bientôt, il va s’éveiller de son ivresse, plein de langueur encore. Qu’elle vienne donc ! Qu’elle me fasse subir cette heure d’enfer, heure de paradis pour eux, la seule ! car ni lui ni elle ne verront la fin de ce jour.

Lentement, il remit le poignard dans la gaine passée à sa ceinture et, après un dernier regard farouche jeté sur son ennemi, il s’éloigna.

Hugues revenait à la vie peu à peu, et ses regards, troubles encore, erraient paresseusement autour de lui, sur les arbres et les fleurs, sur la