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— Mais comment la vie frivole et paresseuse du harem a-t-elle pu laisser éclore en toi de telles pensées ? dit le prince, de plus en plus surpris et charmé, et, ces pensées écloses, comment cette existence ne t’a-t-elle pas tuée d’ennui ?

— Ah ! seigneur, dit Gazileh, j’avais auprès de moi d’immortels amis qui ne me quittaient jamais. Ils peuplaient ma solitude en me laissant solitaire ; sans rompre le silence ils avaient une éloquence divine ; ils m’emportaient à travers l’espace sans que j’aie quitté ma place.

— Quels sont ces amis ?

— Les livres ! Ah ! mieux que les rois, qui n’ont que le présent, qui les possède possède le monde. Le Qorân ne nous révèle-t-il pas que l’étude éclaire le chemin du paradis, qu’elle vaut mieux que le jeûne, plus que la prière, qu’elle sauve du péché, qu’elle libère les esclaves, qu’elle est notre bouclier, notre parure ?… Aussi, quand je la quittais et que mon miroir me montrait mes yeux rayonnant de la joie qu’elle m’avait donnée, alors, oh ! oui, alors je me trouvais belle !

— Tu m’enchantes ! Gazileh ! s’écria Raschid ed-Din. Tout ce que le rêve a pu concevoir, tu le