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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

Nous faisons choix d’un batelier et nous crions triomphalement :

— À Tribschen !

D’un coup de gaffe, l’homme nous éloigne de la rive, puis il déploie sa voile.

Maintenant, c’est la ville que nous voyons, la vieille Lucerne qui étage, sur les collines, ses maisons inégales, ses nombreux clochers, ses bastions hors de service, au-dessus de l’étroit pont de bois si étrange, mais que nous avons à peine regardé tout à l’heure en le traversant. Il double à présent les festons de ses arches rustiques dans l’eau bleue du lac.

Mais c’est l’autre horizon seul qui nous intéresse, là-bas, ce mince promontoire, qui s’avance en pente douce, fermant à demi le passage : c’est vers cette pointe que la brise pousse tout doucement notre voile gonflée, c’est là Tribschen, le domaine de Richard Wagner.

Un cygne vogue sur le lac : de sa poitrine neigeuse il fend majestueusement l’eau claire, et nous croyons bien voir entre ses ailes la chaîne d’or qui l’attelle à la nacelle de Lohengrin. Pour nous, le frais Righi, c’est le mont Salvat : le temple du Graal doit se cacher, par là, derrière les végétations jalouses ; et nous cher-