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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

m’êtes pas tout à fait inconnu… Mais quel grave événement peut vous amener chez moi aussi tard ?

— Oh ! rassurez-vous, il n’y a rien de grave, rien du tout. Je passais, par hasard, devant votre maison, j’ai levé le nez, j’ai vu de la lumière à votre fenêtre. Je me suis dit : « Tiens, je dois une visite à cette dame, une visite très en retard même, et qui ne peut plus être remise… Comme ça se trouve ! Justement, je n’ai pas sommeil, et, puisqu’elle veille, elle aussi, c’est qu’elle n’a pas sommeil non plus. Ça va lui faire plaisir de me voir et de passer quelque heures à bavarder spirituellement avec moi.

— Quelques heures !…

— Mais, je vous en prie, ne vous gênez pas pour moi ! Ne restez pas debout ; asseyons-nous : on est mieux pour causer.

— Mais enfin, monsieur, il est fort tard !

— Oh ! ne vous inquiétez pas de cela, je ne suis pas pressé le moins du monde.

Et l’intrus entame un interminable et oiseux bavardage, malgré l’impatience de la dame, qui ne cache pas sa mauvaise humeur et ne répond qu’ironiquement, du bout des lèvres. Enfin elle déclare :

— Je crois, vraiment, que vous n’êtes pas dans votre bon sens.

— Comment ! vous vous imaginez peut-être que je suis gris ? Ah bien ! voilà une chose impossible. Figurez-vous que j’ai dîné en famille : un dîner frugal, sévère, dont je garde un très mauvais souvenir. Je vous prierai même, à ce