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LE COLLIER DES JOURS


    pant les faux toupets classiques et proclamant la liberté et l’autonomie de l’art.

    « Nous n’aurions jamais entendu une note de Richard Wagner que nous serions sûrs, à tout ce bruit, de sa supériorité. Il trouble trop profondément tout le monde musical pour n’être pas un génie, un héros, à la manière dont l’entendent Emerson et Carlyle. Sous quelque point de vue qu’on l’envisage, il est celui qui apporte la sensation nouvelle, peut-être un peu trop tôt, mais on voit dès à présent qu’il sera le maître souverain, et que rien ne peut empêcher son avènement. Bientôt sa bannière victorieuse flottera sur le plus haut donjon de la citadelle, dorée par le soleil et caressée par le vent qui jusqu’alors l’avait effrangée et tordue. C’est à Wagner que pensent, comme à un Dieu ou comme à un démon tentateur, les jeunes musiciens cherchant leur voie. C’est de Wagner que se préoccupent les vieux maîtres, sûrs pourtant de leur gloire, et dans chaque œuvre contemporaine, il n’est pas difficile de trouver le reflet ou tout au moins l’étude secrète de cette puissante originalité.

    Un hasard de voyage nous fit assister, au théâtre de Wiesbaden, à une représentation du Tannhäuser, dans un temps, déjà lointain où le nom de Richard Wagner était à peine prononcé en France. Cette musique, d’une brusque nouveauté pour nous qui ne connaissions absolument rien de ce maître, nous produisit une impression étrange et délicieuse ; nous venions d’entendre, pour la première fois, de la vraie musique romantique, telle que les poètes la conçoivent. Cette musique reproduisait avec la plus naïve fidélité la légende du bon chevalier Tannhäuser et de Mme Vénus vivant maritalement dans la montagne de Vénusberg jusqu’à ce que le soupçon de quelque diablerie vienne à ce brave Allemand, bon catholique au fond et qu’il dise à sa compagne mythologique :

    Vénus, ma belle déesse,
    Vous êtes une diablesse.

    Ce qui nous frappa surtout dans la partition du maître germanique, c’était l’extrême clarté de cette phase musicale