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le second rang du collier

barques silencieuses qui glissent dans le cercle.

— Il est très bien, ce pont, dit mon père, simple, large et solide ; l’entrée est heureusement dégagée et fort majestueuse. J’aime beaucoup ces maisons de forme arrondie, aux angles de la place, qui justement suppriment l’angle et dont la courbe est douce à l’œil. Il doit y en avoir deux autres à Courbevoie, qui font pendant à celles-ci.

— C’est Louis-Philippe qui a bâti le pont de Neuilly ?

— Non, c’est Louis XV, sur l’emplacement d’un autre construit pour remplacer le bac, après l’aventure de Henri IV qui fit là son fameux plongeon, où il faillit rester, en passant l’eau en carrosse.

— Ça devait être joli, au temps du bac…

À Courbevoie, c’est dans la maison demi-ronde, à droite du pont, que triomphe la vraie « Renommée du ratafia ». L’établissement est un débit de vins, dont la porte est grande ouverte en face d’un comptoir brillant. Quelques rouliers, debout, le fouet sur l’épaule, prennent un verre.

Nous sommes un peu interloqués et nous regardons du dehors, sans oser entrer. Nous attendons que les rouliers, qui ne se pressent pas, soient partis.

Nous voici, enfin, alignés, tous les trois, devant le cabaretier. Il faut bien dire quelque chose. Mon père risque timidement :

— Trois ratafias, s’il vous plaît.