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le second rang du collier

mies des animaux diffèrent autant entre elles que celles des hommes, et nous savions très bien distinguer à qui appartenaient ces museaux noirs comme le masque d’Arlequin, éclairés par des disques d’émeraude à reflets d’or…


Tous ces minous étaient à nous tous ; cependant nous en avions adopté plus spécialement chacun un : ma mère avait choisi Gavroche, ma sœur Éponine, et moi Enjolras. Ils étaient admis à manger à table, où ils avaient chacun son couvert et sa chaise, à côté de sa maîtresse. Seul Gavroche, qui préférait gaminer avec ses amis de la rue, ne venait que par caprice ; les deux autres se montraient d’une ponctualité admirable. Dès que tintait la sonnette, annonçant le repas, ils dégringolaient l’escalier, ou accouraient du fond du jardin et étaient toujours les premiers à table : nous trouvions les deux convives noirs, assis chacun à sa place et surveillant le plat avec des yeux luisants de gourmandise.

Nous possédions, alors, une vieille pie, assez maussade, dont j’ai oublié l’origine, mais qui, par un heureux hasard, redevint jeune et joyeuse… Un jour, en notre absence, Margot s’échappa de sa cage et s’envola. La bonne, responsable, redoutant les représailles, se mit à sa recherche, d’abord dans le jardin, puis à travers Neuilly. Elle courut comme une folle et finit par rencontrer un gamin qui tenait une pie :

— Ah ! c’est toi qui me l’as volée ! s’écria-t-elle en lui arrachant l’oiseau des mains.