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XI


Théophile Gautier avait une antipathie invincible pour les cafés ; ceux qui les fréquentaient n’étaient pas loin de lui apparaître comme des criminels, et il serait mort de soif, plutôt que d’entrer dans un « estaminet » pour y prendre un verre de bière : « S’attabler en des cafés pour absorber avec flamme des boissons violentes » — il citait souvent cette phrase prise je ne sais où — lui paraissait le comble de l’inconduite. Il détestait aussi le jeu, et, si quelqu’un maniait et battait habilement les cartes devant lui, cette dextérité, acquise par une longue pratique, lui inspirait une vague horreur.

Cependant nous avions décrété qu’il devait jouer aux dominos. Nous le tyrannisions ainsi quelquefois, et il se laissait faire sans trop de révolte : par exemple, nous avions fini par obtenir de lui qu’il mangeât une soupe, le matin, en se levant, afin de ne pas être, au déjeuner, affamé depuis tant d’heures et pareil à un ogre ; il consentit, à la condition que ce ne fût pas un « potaige », comme il disait avec beaucoup de dédain, mais une vraie