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le second rang du collier

Georges Charpentier avait fondé la Vie Moderne, une revue d’art illustrée, dont Émile Bergerat était directeur ; ils offrirent un poste de confiance à l’ombrageux cousin, ils le nommèrent caissier.

Tout d’abord, M. Antonin se fit aménager, dans son bureau, une sorte de forteresse, un compartiment grillagé, ne communiquant avec l’extérieur que par un étroit guichet ; il était là-dedans inexpugnable et inaccessible, même aux clients, qu’il recevait d’un air rogue, daignant à peine parlementer, par la chatière, avec l’intrus qui désirait être renseigné : à son avis, les questions n’étaient jamais posées avec une courtoisie suffisante.

— Monsieur, je vous prie d’être poli ! disait-il.

— Est-ce qu’il faut mettre des mitaines pour demander le prix d’un abonnement ?

— Monsieur, je suis gentilhomme : je ne puis tolérer vos insolences ; vous m’avez manqué de respect !

L’autre ripostait. Le dialogue s’envenimait, se haussait de ton : le noble caissier y coupait court en fermant brusquement son guichet… Mais le client ne s’abonnait pas et s’en allait en faisant claquer la porte.

Tout le personnel du journal était vaguement terrorisé. Charpentier lui-même, si doux de caractère, presque timide, ne manquait jamais de demander en arrivant :