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le second rang du collier

et sa mort avait vivement ému Paris. Pour rien au monde, mon père n’aurait assisté à une œuvre d’Offenbach : il donnait ses places à ceux qui voulaient bien se risquer, aux esprits forts, aux incrédules, et, pour le compte rendu, il se faisait suppléer.

Notre frère Toto s’efforçait souvent de combattre chez son père cette croyance au mauvais œil, il le raillait doucement ; mais Théophile Gautier n’aimait pas que l’on touchât à ce sujet et n’entendait pas la plaisanterie.

Un jour qu’il marchait, avec son fils, rue Vivienne, le portrait d’Offenbach leur apparut à la vitrine d’un photographe. Aussitôt mon père conjura le mauvais présage en faisant les cornes avec ses doigts. Toto, profitant de la circonstance, revint à la charge, discuta sur le sujet brûlant, mais sans succès.

— Tais-toi, disait le père ; tu sais bien que ce genre de conversation m’est désagréable.

Toto ne voulait pas céder :

— J’ai été voir la Belle Hélène, disait-il, et le lustre du théâtre ne m’est pas tombé sur la tête… Et, tu le vois, en ce moment même, je parle d’Offenbach, et il ne m’arrive rien.

Ils tournaient, à cet instant, le coin de la rue et Toto marchait devant.

Alors, en plein boulevard, lui appliquant au bas des reins un paternel coup de pied, moitié fâché, moitié riant, Théophile Gautier lui dit :

— Tu vois bien qu’il t’arrive quelque chose !…