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le second rang du collier

prendrions peut-être pas grand’chose, et ces noms passablement rébarbatifs n’éveilleraient aucune idée dans votre imagination, à moins que vous ne soyez naturaliste. Mais figurez-vous, sur de mignons pédoncules, des panaches de pistils, des boules aériennes semblables aux têtes de pissenlit et qu’on croirait pouvoir souffler ; des couronnes, des étoiles d’une pulpe transparente colorée comme les moires du burgau ; tout un bouquet à cueillir pour la fête d’une Océanide. Seulement, pensez que ces fleurs marines sont des animaux, quoiqu’on ait bien de la peine à concilier l’idée de la vie avec ces formes végétales.

Cette étoile d’or et d’écarlate, c’est la balanophyllia regia, — quel nom terrible ! — dont les tissus internes sécrètent une matière calcaire qui devient le corail. Ainsi cette charmante ramification d’un rouge si sanguin et si vivant, dont les tons comme ceux de la perle s’associent toujours si bien à l’épidémie satiné de la femme, n’est que l’armature intérieure d’un polype.

Le pagurus Bernardus, vulgairement connu sous le nom de Bernard l’Ermite, réunit toujours devant sa glace un groupe de spectateurs. Ses allures sont assez comiques, si un tel mot peut s’accorder avec l’imperturbable sérieux de la nature. Le Bernard l’Ermite est un crabe revêtu seulement d’une moitié d’armure ; son corps, bien préservé à la partie antérieure par un test solide, reste sans défense à l’arrière. Connaissant le défaut de sa cuirasse, Bernard, qu’on appelle l’Ermite, et qui serait mieux nommé le Prudent, cherche une coquille vide, s’y introduit à reculons comme on fait dans les gondoles vénitiennes, et l’emporte avec lui. Quand il grossit, il en avise une plus grande et s’y loge, toujours à mi-corps. Quel ingénieux moyen de suppléer l’absence de carapace de son arrière-train ! Cette armure d’emprunt ne rassure guère d’ailleurs le pagurus Bernardus. Il va, il vient, toujours inquiet, agitant ses pinces et ses tentacules, faisant le mort à la plus légère alarme. Chose bizarre ! le pagure a un parasite. La sagartia parasitica (espèce d’anémone) s’implante très souvent sur la coquille qu’il charrie, et se fait promener par lui comme en palanquin. Dans cette même case, la chevrette exécute ses évolutions rapides, et voltige, papillon de nacre, sur ces étranges fleurs de la mer. À travers son frêle corps d’argent translucide, on voit s’opérer la digestion et tout le travail de la vie.