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forme l’atmosphère, en dégrade les plans, en azure les lointains. Au bout de quelques minutes, l’illusion est complète. Le sentiment de la proportion se perd, on croit voir les vallées et les montagnes d’un pays inconnu ou plutôt d’une planète nouvelle… Les pierres deviennent des pics énormes, la moindre anfractuosité de galet une grotte profonde ; les cailloux du dernier plan se grossissent en sierras. Les filets de la vallisneria, les touffes de l’anacharis représentent des forêts noyées. — Quant aux poissons, penétrés de lumière, ils sont d’une translucidité féerique. Ils montent et descendent, se déplacent par de légers mouvements de queue ou de nageoires et comme s’ils flottaient dans l’air le plus limpide ; s’ils s’approchent de l’invisible barrière que leur oppose la glace, on dirait qu’ils vont sortir du cadre et s’élancer hors de leur élément…

Quand on arrive aux bacs d’eau de mer, on est saisi tout de suite d’une radicale différence d’aspect. La transparence de l’eau douce est celle du cristal ; celle de l’eau de mer est la transparence du diamant : le milieu a complètement disparu, et, sans la crépitation de petites bulles que vient faire à la surface le stillicidium de renouvellement, on pourrait croire qu’il n’y a rien entre l’œil et la paroi opaque de la caisse. Les rochers qui hérissent ces bacs sont plus âpres, plus bizarres de formes, plus fauves de couleur que ceux dont sont formés les paysages d’eau douce. Des fleurs d’une apparence et d’une coloration fantastique adhèrent à leurs flancs. — Ces fleurs sont des polypes, des actinies, êtres singuliers qu’on appelle aussi anémones de mer, à cause de leur ressemblance avec cette fleur ; ces anémones se composent d’une sorte de tige ou pied charnu extrêmement contractile, s’épanouissant au lobe supérieur en une couronne de tentacules très délicats qui retombent comme des pétales et dont la bouche de l’animal forme le centre ou cœur.

Ces actinies se déplacent en se laissant rouler par les vagues ; l’été, elles se rapprochent des côtes ; l’hiver, elles se réfugient aux profondeurs, où les variations de température sont moins sensibles. — Quel prodige ! une fleur qui marche et qui mange ! Car ces tentacules, pareils à une chevelure soyeuse, saisissent en se contractant les animalcules dont l’actinie fait sa nourriture. Si nous vous disions que ces bacs contiennent en outre l’actinia dianthus, la tealia crassicornus, la bunodes gemmacea, nous ne vous ap-