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le second rang du collier

hongrois, dont le caractère était extrêmement agréable. Malgré l’élégance originale de son costume et sa figure charmante, on ne pouvait surprendre en lui aucune trace de fatuité. Il se plaisait, au contraire, à se déprécier lui-même, nous disant qu’il avait eu le nez cassé, l’œil crevé, les dents ébréchées, et c’était vrai : son nez déviait légèrement, un point rouge trouait la cornée d’un de ses yeux, et il avait une dent plus courte que les autres ; mais il fallait être prévenu pour apercevoir ces légères tares, qui n’altéraient en rien l’harmonie du visage. Madarasz rappelait aussi les mésaventures, causées par son extrême timidité, une entrée fâcheuse dans un salon, devant un aréopage de jeunes filles, où il s’étalait par terre, le pied pris dans un rideau, entraînant un guéridon chargé de tasses. Il s’efforçait de triompher de cette honte de soi, qui rend si gauche, mais n’y parvenait guère. J’avais imaginé, moi, un moyen de vaincre la timidité, ou du moins de la dissimuler, dont je révélai la malice au jeune peintre : c’était d’embarrasser les autres… Pour cela il suffisait de paraître, par un jeu de physionomie discret, remarquer dans la toilette d’une des personnes affrontées, quelque incorrection grave : regarder avec insistance les chaussures, par exemple, rien ne déconcertait plus sûrement la victime. Cette méchante ruse avait aussi l’avantage de vous distraire de votre propre gêne, et par cela même de la supprimer.