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le second rang du collier

parés par l’eau, il allait vouloir me parler, s’excuser. Je l’évitai de mon mieux, mais il ne se découragea pas et, dans les petits chemins, qui menaient à notre jardin, entre les enclos, à moins de m’enfuir, je ne pouvais l’empêcher de marcher à côté de moi. Il voulut parler alors ; mais, tout à coup, très intimidé, il ne parvint qu’à balbutier une phrase confuse que je n’entendis pas. Je ne pus me retenir de lui jeter cette formule du Coran, que Nono m’avait apprise :

Na’ouzou, billahmin ech cheitân er redjim !

Ce qui est la façon musulmane de dire : Vade retro, Satanas !

La surprise du noble persan fut extrême ; tout déconcerté, il s’arrêta sous l’anathème… Ayant atteint la porte du jardin, je coupai au plus court pour gagner ma chambre. Tant que dura la longue visite, je ne parus pas au salon ; mais, quand j’entendis le mouvement du départ, je courus dans la chambre de ma mère, et, à travers les persiennes fermées, je vis la compagnie s’éloigner dans la voiture du général, une très élégante calèche à deux chevaux.

Théophile Gautier, si épris de l’Orient, avait été tout à fait séduit par ces deux persans. Tout d’abord, il n’avait pas cru à leur exotisme, soupçonnant une mystification du joyeux Dardenne. Mais, quand ils avaient chanté à demi-voix la chanson persane, il avait été convaincu. Il leur