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le second rang du collier

ser peigner sa barbe ; mais il était très douillet, et, si je tirais le moins du monde, il me faisait des grimaces bouffonnes, roulant des yeux terribles et grinçant des dents. Sa cravate, qu’il ne savait pas nouer lui-même, exigeait aussi une attention méticuleuse.

— Comment me trouves-tu ? disait-il, lorsqu’il était prêt.

— Tu as l’air d’un beau lion, très fort et très doux.

— Oui, tu dis cela pour me faire plaisir. Mais, au fond, tu me considères comme un père noble, un Géronte, un vieux birbe.

Il me conduisait alors devant le grand portrait que Chatillon, poète, peintre et sculpteur, a fait de lui.

— Voilà comment j’étais à vingt-huit ans, disait-il ; c’est là l’image que je voudrais laisser de moi, et elle était d’une ressemblance absolue. Si je le pouvais, je détruirais tous les autres portraits, plus ou moins hideux, que l’on m’a fait subir. Physiquement, l’homme est vraiment lui-même à trente ans ; à partir de là, il ne progresse plus, et bientôt, hélas ! il commence à descendre, plus ou moins vite, l’autre versant de la montagne. La réputation vient tard, en général, et on ne laisse de soi qu’un masque flétri et déformé, par les fatigues et les peines de la vie. Cela est absurde. Passé trente ans, on ne devrait jamais laisser faire son portrait. Mais