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le second rang du collier

gner véritable. Sans le croire complètement dénué de mélodie, de rythme et de carrure, comme on le disait, nous pensions avoir affaire à un hardi novateur en musique, secouant les vieilles règles, inventant des combinaisons bizarres, essayant des effets inattendus ; — un paroxyste, pour nous permettre ce mot, poussant tout à l’extrême, outrant la violence, déchaînant à propos de rien l’ouragan de l’orchestre et passant comme une trombe musicale sur le parterre abasourdi. Nous nous figurions un génie compliqué et furieux, chaotique et fulgurant, mêlé de souffles, de ténèbres et de lueurs, et cédant au caprice d’une inspiration sauvage, un Kreissler à la Hoffmann près de qui Beethoven, Weber et même Berlioz eussent paru fades et classiques, et, vraiment, sur ce qu’on en racontait, il était difficile de penser autre chose.

L’auteur du Tannhäuser, loin de renchérir sur Weber ou Meyerbeer, a remonté délibérément dans le passé vers les sources de la musique, comme un peintre qui imiterait Van Eyck ou l’ange de Fiesole. Le sujet de son opéra est symbolique et fait doublement allusion à cette idée…

Et le poète analyse, dans un style d’un coloris délicieux, la légende du chevalier Tannhäuser. Puis il le montre, quand le rideau s’écarte, dans les grottes du Venusberg, accoudé sur les genoux de Vénus,

… l’air excédé d’ennui et parfaitement insensible aux groupes érotico-mythologiques que figurent derrière une gaze des Nymphes et des Amours ; en vain les Grâces font des poses, et les Sirènes chantent leurs chansons les plus perfidement enivrantes de leur voix la plus douce ; en vain la déesse déploie ses séductions auxquelles rien ne résiste que la satiété. Tannhäuser, las de chants magiques, de fantasmagories grecques et de baisers olympiens, se ressouvient de sa vieille grand’mère, de sa jeune fiancée et du son de cloche de la petite chapelle, et, invoquant le nom immaculé de Marie, il se débarrasse des étreintes de la déesse, et se retrouve en pleine campagne. La lutte du principe spiritualiste et du principe matérialiste, qui se disputent l’âme de