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le second rang du collier

qui fut particulièrement tenace et nous tourmenta longtemps. Elle arrivait d’Amérique et avait été la femme, à ce qu’elle disait, d’un président des États-Unis, mort récemment. Il l’avait laissée avec des enfants et sans ressources : mais elle avait l’amour et, à ce qu’elle croyait, le don du théâtre, qui l’aiderait, pensait-elle, à relever sa fortune. C’était une femme assez jolie, de taille moyenne, et toujours endeuillée de voiles de crêpe : « Mon mari est toujours mort », répondait-elle à ceux qui lui faisaient observer que le temps du deuil était passé.

Mon père s’était laissé toucher par cette infortune exotique. Cependant il combattit autant qu’il le put le singulier projet de la belle veuve : elle voulait jouer, à Paris, et en anglais, un grand drame de Shakespeare. Pour consacrer son talent, et lui donner de l’éclat en Amérique, il fallait qu’elle eût été entendue à Paris. Jouer, en anglais, devant des Parisiens, quelle folie !… Mais elle ne voulait pas en démordre.

Mon père finit par renoncer à la convaincre ; et, devant son insistance, jugeant aussi que c’était le seul moyen de se débarrasser d’elle, il songea à faire aboutir le projet, en le réduisant le plus possible.

Taillade, que Théophile Gautier soutenait beaucoup et admirait infiniment, consentit, sur sa demande, à entrer dans la combinaison. Il s’agissait