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sait l’effet d’une grosse cerise pas très mûre. Il était fort élégant, rasé de frais, avec une fleur de poudre de riz qui veloutait la fraîcheur de son teint blanc et rosé. Edmond, plus brun, la figure carrée, le regard attentif, la moustache relevée, avait déjà cet air mousquetaire qu’il garda toujours.

Jules, à peine assis, contre la porte vitrée de la terrasse, engageait vivement la conversation sur quelque thème littéraire, et, quand il reprenait haleine, son frère continuait la phrase, développant l’idée, que l’autre résumait ensuite. C’était un duo tout spécial, où les voix alternaient, sans se heurter ni se mêler jamais ; seulement, tandis qu’en parlant Edmond disait : « nous », Jules toujours disait : « je ». Leur tactique consistait surtout à faire parler Théophile Gautier. Quand le dialogue était bien parti et que mon père s’échauffait, ils procédaient par questions, le poussaient, l’excitaient, heureux s’il se laissait aller à toute sa verve ; ils ne parlaient presque plus, alors, écoutant avec un plaisir et une attention extrêmes.

Une fois, aux « mille pas », mon père me demanda :

— Qu’est-ce que tu penses des Goncourt ?

— De leur personne ou de leur talent ?

— Des deux, puisque tu lis leurs livres, sans demander la permission… à mesure qu’ils paraissent. Mais procédons par ordre.

— Ils sont on ne peut plus corrects et distin-