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LA TUNIQUE MERVEILLEUSE

c’est la charité envers tous les hommes, quels qu’ils soient » ?

LE PRUNIER

Il l’a dit ! il l’a dit !

(Tous hochent la tête d’un air approbatif.)
BAMBOU-NOIR

Je ne vis dans ce prêtre qui courait vers moi, tout couvert de sang, qu’un vieillard faible et persécuté. J’allai à lui et je le retins dans mes bras, au moment où il tombait, à bout de forces. On voulut me l’arracher, mais j’en imposai à cette populace, et j’emmenai le prêtre dans ma chambre d’étudiant ; il était horriblement blessé, et le médecin déclara ses blessures mortelles ; il put seulement adoucir le mal. Quand le prêtre approcha de ses derniers moments, il me dit d’une voix faible : « Mon fils, vous n’avez pas secouru un ingrat. Vous êtes pauvre, je vous lègue mieux que la fortune, car la fortune peut être dissipée. Prenez cette tunique et gardez-vous bien de la juger sur les apparences ; en la revêtant, vous serez délivré de toutes les servitudes auxquelles les hommes sont soumis ; vous n’aurez ni faim, ni soif, ni froid. Elle a appartenu à un grand saint de mon pays qui lui a donné cette vertu. » Il mourut là-dessus, et moi qui croyais qu’il avait parlé dans le délire de la fièvre, je m’aperçus bientôt qu’il m’avait légué un véritable trésor.