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LA TUNIQUE MERVEILLEUSE

sible ? Il pensait à moi tandis que j’étais là si triste et si découragée. Ah ! si je l’avais su, mon ennui eût été moins dur à porter, et s’il réussit… Mariée ! Je serai mariée demain !… Et s’il ne réussit pas ?… Eh bien, ma vie sera changée tout de même ; ce ne sera plus cette solitude morne, j’aurai un rêve, un espoir. Il faut m’aimer par pitié filiale, m’a-t-il dit. Ah ! je suis une fille bien obéissante…

La venue de Cerf-Volant mit fin à sa rêverie.

— Eh bien, Cerf-Volant, t’a-t-on payé la broderie que je t’avais donné à porter ?

Cerf-Volant fit signe que non et dit :

— Sorti.

— Comment ! la personne était sortie ? Quel malheur ! Alors les pauvres invités de mon oncle n’auront pas de feu ?

— Crédit ! répliqua Cerf-Volant, en tirant de dessous sa robe un paquet de charbon, noué dans un morceau d’étoffe.

— Ah ! Cerf-Volant, tu as de l’esprit, bien que tu sois avare de paroles, toi qui n’as rien autre chose à économiser. Allons ! aide-moi à dresser la table. Mettons-la ici ; de cette façon, cachée derrière le paravent, pensa-t-elle, je pourrai voir le signe que doit me faire Bambou-Noir : Une poignée de neige, comme c’est singulier !…

Cependant Cerf-Volant était occupé à allumer le brasier ; il soufflait le feu en agitant un écran. Se chauffant les mains il dit :