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LE TUNIQUE MERVEILLEUSE

Cerf-Volant fit signe que oui et montra les projectiles de neige qui s’étaient écrasés sur lui.

— Il faut se soumettre, dit Rouille-des-Bois, en soupirant ; ils seraient capables de me traiter de même. Tous ces gens-là veulent ma ruine et ma mort.

— Voyons, mon oncle, vous ne mourrez pas pour avoir donné un dîner, une fois dans votre vie.

— Ah ! toi, si on t’écoutait, s’écria l’avare, nous serions bientôt réduits à la mendicité. On dirait vraiment que tu me crois riche.

La jeune fille eut un sourire, mais, sans répondre, elle alla prendre du papier rouge dans un tiroir.

— Allons, faites vos invitations, dit-elle.

— Voilà bien longtemps que je n’ai tenu un pinceau, dit Rouille-des-Bois, la main me tremble, écris toi-même.

Perle-Fine s’assit et saisit le pinceau entre ses petits doigts aux ongles longs.

L’opération fut laborieuse : à mesure que Cerf-Volant délayait le bâton d’encre, l’encre gelait. La jeune fille disait tout haut les noms qu’elle traçait sur le papier rouge. Chaque nom arrachait un soupir à Rouille-des-Bois.

— Celui-là, c’est un avale-tout, disait-il, il mange jusqu’à ce qu’il étouffe ; cet autre est altéré comme le sable des steppes de Tartarie ; quant à celui-ci, il jette à poignées les liangs d’or comme si c’étaient des cailloux : le jour où j’ai dîné chez lui, on n’a pas