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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

esprit, le visage de l’avare s’allongeait démesurément, comme s’il eût été reflété par une de ces boules en cuivre poli qui ornent les balustrades.

— Hein ! on m’insulte, murmura-t-il ; on me couvre de honte, on me déshonore, moi, un homme vénérable, qui ai passé soixante ans et qui mérite le respect ! Avare ! ladre ! et cela parce que je suis pauvre et économe !

Les passants, de plus en plus nombreux, s’arrêtaient curieux.

Rouille-des-Bois arracha les affiches et fut sur le point de les jeter dans le ruisseau ; mais il se ravisa en songeant que l’on pourrait en faire du feu. Il rentra chez lui en fermant la porte avec colère.

— Que se passe-t-il donc, mon oncle ? Pourquoi sembles-tu irrité ? dit une jeune fille toute pâle de froid, qui entra d’un autre côté dans le salon d’honneur, au moment où Rouille-des-Bois y pénétrait.

— Faites donc le bien, s’écria le vieillard, très animé, recueillez des orphelins, comme j’ai recueilli Perle-Fine, soyez poli avec tout le monde, charitable comme Miaou-Chen[1], — n’ai-je pas, l’an dernier, distribué un bol de riz entre toute une armée de mendiants ? — pour être traité comme l’on me traite, pour recevoir cette récompense !

Et il jeta au milieu du salon les deux affiches dont il avait fait une boule.

  1. La déesse de la Compassion.