Page:Gautier - Le Paravent de soie et d’or, 1904.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

à dîner par un seigneur de la haute ville : l’avare accepta l’invitation, et, le jour venu, mangea avec grand appétit et but au point qu’il fallut le rapporter chez lui. Les convives qui assistaient au dîner se hâtèrent, l’un après l’autre, de rendre au noble seigneur sa politesse ; chaque fois l’avare fut invité, et il dîna successivement chez tous les convives du noble seigneur. Depuis lors, bien des lunes se sont écoulées, et, chaque matin, le noble seigneur interroge ses domestiques :

« — N’est-il pas venu une invitation de la part du vénérable avare ?

« — Non, maître.

« Et le seigneur fronce le sourcil. Quelquefois il fait battre ses domestiques, mais ceux-ci jurent, sur les mânes de leurs ancêtres, qu’ils n’ont point égaré l’invitation, car elle n’est jamais venue.

« A-t-on jamais entendu parler, dans l’Empire du Milieu, d’un pareil oubli des convenances ? »

Le jeune homme dont les épaules étaient élargies par la douce épaisseur de la peau du dragon de mer, s’appuyait sur Bambou-Noir, et relisait la seconde affiche.

— Ami ! ami ! dit-il à demi-voix, faut-il que nous t’aimions pour nous exposer ainsi à nous voir forcés de goûter a la cuisine de ton oncle vénérable !

— Certes, dit Bambou-Noir, l’ordinaire des mendiants et des vagabonds, qui sortent le matin de la