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LE PRINCE À LA TÊTE SANGLANTE

robe de satin jaune, l’autre d’une robe de soie rouge. Une mitre extrêmement haute, surchargée de fleurs d’or, les coiffe. De chaque côté des inscriptions disent le nom des déesses :

BA-TIOUNE-TIAC, BA-TIOUNE-NHI.

Sur les tables des offrandes, couvertes de vases précieux et de flambeaux allumés, les desservantes entassent des fruits et des fleurs ; d’autres jettent sur les braises des grandes cassolettes de bronze, les bois odorants dont la fumée monte en minces filets qui oscillent.

Un gros livre, posé sur un pupitre, est ouvert devant la supérieure.

— Aujourd’hui, jour anniversaire de la grande bataille, dit-elle, je dois vous dire le récit de la sainte mort du Prince à la Tête Sanglante.

Et en balançant un peu son corps, au rhythme de la mélopée, elle psalmodie d’une voix monotone :

« Cent mille guerriers ! Cent mille guerriers ! Ils couvrent les sommets, les pentes, les vallées.

« Les fils du Dragon viennent pour dévorer l’Annam. Ils veulent saisir les deux femmes sublimes qui leur ont infligé tant de défaites et les ont chassés du beau royaume qu’ils avaient conquis.

« Cent mille guerriers ! Cent mille guerriers chinois ! Ils atteignent l’étroit défilé qu’il faudra franchir pour entrer dans le triste pays d’Annam.