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LE PRINCE À LA TÊTE SANGLANTE

génie de la guerre. Quand elle paraissait, l’arc en travers des reins, le glaive au poing, guidant des genoux son cheval ardent, l’armée, fanatisée, se sentait invincible. En moins d’un mois, tous les Chinois qui n’avaient pas péri furent rejetés hors des frontières ; soixante-cinq villes se soumirent au roi ; l’éléphant qui nous portait dans les triomphes marchait sur la soie et les fleurs.

« Puis l’indépendance reconquise, ce furent les jours heureux, le peuple guéri de tous ses maux, la prospérité revenue sous le règne pacifique, plein d’équité et de sagesse.

« Elle est le roi de l’Annam ! Et nul souverain autant qu’elle n’a mérité l’amour de ses sujets. »

— Tu as fait cela, sanglotait Lée-Line, le front dans la poussière, aux pieds de Fleur-Royale. Tu as fait cela, sainte héroïne ! et moi, misérable, je te pleurais dans la solitude, au lieu d’être là pour te servir, mourir pour toi !…

— Relève-toi, Lée-Line, dit le roi, relève-toi pour me servir… Je te nomme chef suprême de l’armée : le premier du royaume après Tige-d’Or qui est comme moi-même. Tu n’étais pas aux jours de faste et de gloire ; muré dans la douleur, telle la larve qu’enferme le cocon étouffant, tu n’as rien vu, rien su de la vie. Tu reviens quand le ciel s’obscurcit, hélas !… Puisse ton courage soutenir le mien ! Écoute : après trois ans d’humiliation muette, la Chine formidable se relève contre nous. Des guerres