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LE PRINCE À LA TÊTE SANGLANTE

ses rares poils gris et les rides d’orgueil qu’a gravées sur ton front une fausse renommée, ne me plaît guère, et toute tête qui me déplaît roule dans le sang.

« Ce fut au milieu d’un silence blême, qui suspendit toutes les respirations, que vibra la réponse de Khisak, ses dernières paroles.

— Celui qui meurt, comme tu mourras, sur le fumier de ses crimes, cria-t-il, peut craindre la fin, car son âme tombe au corps d’un pourceau ; mais l’âme des sages s’envole auprès des immortels !

— Envole-toi donc ! hurla To-Ding.

« Et aussitôt, sur un signe qu’il fit au bourreau, la tête de Khisak roula dans la flaque sanglante.

« Fleur-Royale ne cria pas, ne fit pas un geste ; mais sa lèvre tremblait et son regard était terrible.

« Je m’approchai d’elle pour la soutenir, pour partager son sort, car le glaive abaissé, dont la pointe laissait fuir un serpent rouge, pouvait se relever.

« Ah oui ! je la revois cette assemblée, figée dans une stupeur d’effroi ! Toutes ces faces de lâcheté, ces rictus qui se croyaient des sourires et, aux pieds de l’épouse, la noble tête aux yeux élargis et dont la bouche ouverte semblait crier un ordre !…

« L’indignation m’étouffait, je ne pouvais la contenir, elle allait déborder de moi-même en insultes et en sanglots, quand Fleur-Royale saisit, par le chignon dénoué, la tête de son époux et s’enfuit en jetant une clameur tellement surhumaine que beaucoup des assistants tombèrent à genoux.