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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

— L’histoire est plaisante, dit le gouverneur qui ne put s’empêcher de rire, mais le malheureux va payer cher son imprudence.

— Comment ! Comment ! s’écria A-Tei toute attristée, l’aimable Sang-Yong recevrait-il vraiment cent coups de bambous !

— Il les recevra, dit le gouverneur, la loi est formelle. Ma pauvre A-Tei, s’il survit à sa peine, tu auras un mari bien cassé.

— On meurt donc quelquefois des cent coups de bambous ? demanda Princesse-Blanche.

— Très souvent.

— Ah ! cher père ! dit-elle en le câlinant, tu ne peux cependant pas laisser tuer un homme qui t’a fait rire.

— C’est toi qui as ri.

— Toi aussi, père, et tu ris même encore malgré tes efforts pour te retenir ; et puis voudrais-tu faire mourir A-Tei de chagrin ?

— C’est vrai que je mourrai s’il meurt ! s’écria la servante en éclatant en sanglots.

— La loi s’inquiète bien d’A-Tei, dit le gouverneur.

— Mais, ici, à Canton, la loi c’est toi, dit Princesse-Blanche. Je n’aurais jamais cru ton cœur aussi dur, ajouta-t-elle en faisant la moue, et je vais de ce pas me jeter dans le lac ; je ne pourrai pas vivre avec l’idée que j’ai ri, d’un homme qu’on a tué à coups de bâton.