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LE FRUIT DÉFENDU

soignées ; tandis que la large pivoine, justement appelée l’impératrice des fleurs, éclatait dans les parterres, éblouissant les yeux. Les arbres étaient rares et bien taillés ; il y avait des dragonniers sanglants et des cédratiers pâles, et aussi quelques orangers parfumés qui commençaient à fleurir ; le vent faisait tomber dans les lacs des pétales de roses et agitait doucement le panache léger des bambous noirs.

Sang-Yong contemplait ce jardin avec admiration ; il lui semblait qu’il devait avoir été tracé sur le plan diminué des jardins impériaux de la Ville-Défendue.

Les voix qui s’étaient éloignées un instant se rapprochèrent de nouveau ; le libraire vit apparaître une jeune fille qui marchait avec peine, les bras étendus pour ne pas perdre l’équilibre, et se divertissait à jeter en l’air du bout de son petit pied, un grand volant qu’elle ne laissait jamais retomber à terre. Elle portait une double robe de damas vert clair, brodée d’or, et, en jouant, elle laissait voir quelquefois un pantalon de satin rose. Son visage était fardé avec soin ; des perles et des fleurs se mêlaient aux trois nattes qui pendaient, l’une sur son dos, les deux autres sur sa poitrine. Une petite servante la suivait, portant un parasol.

Les deux jeunes filles riaient ensemble, avec familiarité, des évolutions du volant ; mais tout à coup leur gaieté se changea en un grand chagrin :