Page:Gautier - Le Paravent de soie et d’or, 1904.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LE PRINCE À LA TÊTE SANGLANTE

d’avoir tué mon désespoir, s’empara de moi, m’affola ! À la cour, la mort planait sur toutes les têtes. Je m’enfuis de la cour, de la ville, pour me cacher, me perdre dans la foule, disparaître, moins que les moindres, infime parmi les infimes !…

— Pasteur de buffles !.. s’écria Tige-d’Or avec ironie.

La reine se taisait, les yeux troubles, regardant vers les lointains de ses pensées.

Une trompette sonna dans le camp ; un chant mince, aigu, clair comme un rayon et qui sembla percer le mur de satin.

« Gloire à la reine ! criait-il, soyons son rempart, veillons sur elle ! »

Comme cinglé par cette fanfare royale, le juste orgueil reprit son éclat ; les yeux se dévoilèrent, Ba-Tioune-Tiac redevint la volonté souveraine, au masque impassible.

— Parle, Tige-d’Or, dit-elle, enseigne-lui l’histoire de l’Annam en ces trois dernières années. Et Tige-d’Or parla :

— Je revois, dit-elle, la salle aux colonnes rouges où s’enroulaient des dragons d’or, et les gardes, avec la grimace de leur face peinte ; ils tenaient à deux mains, la pointe vers les dalles, leur lance à large lame ; je revois, la plume de paon au bonnet, mais le deuil sur le front, les courtisans, debout en face du trône, échelonnés jusque sur les marches qui montaient du jardin, et derrière eux, sur le