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LE FRUIT DÉFENDU

une robe jaune, répétait-il, nuit et jour. Je m’enfermerai dans ma chambre que j’aurai fait garnir de glaces limpides, j’allumerai un grand nombre de lanternes, je revêtirai chaque soir ma robe jaune ; et je me regarderai dans les miroirs, et je ne recevrai pas de coups de bâton. » Souvent aussi, il se disait : « Je suis fou ! que m’importe une robe jaune ? » Néanmoins, il en cherchait une avec un acharnement sans trêve.

Quand la huitième heure eut sonné, il se trouva, tout ému, à la place que lui avait indiquée le marchand de costumes. Celui-ci, qui attendait le libraire, se mit à marcher silencieusement, et Sang-Yong le suivit. Ils passèrent par des rues étroites, boueuses, et pénétrèrent enfin dans une petite boutique sale et laide. La robe jaune était belle, presque neuve ; le marchand en demanda deux onces d’or, qui lui furent données sans objections, et Sang-Yong rentra chez lui fort satisfait.

Le soir même, à la lueur de quinze lanternes, quatre ou cinq glaces bien fourbies lui montrèrent l’image éclatante de la robe de satin jaune où le Dragon à cinq griffes apparaissait brodé en rouge sur la poitrine ; et la petite personne rondelette du libraire, avec sa face à triple menton, vermillonnée par la bonne chère et l’abus de vin de riz, faisait un divertissant contraste à ce pompeux habillement.

Sang-Yong, extasié, rayonnant, marchait dans sa chambre avec dignité ; il faisait frissonner et grincer