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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

ses manches, ce que j’ai tant désiré va s’accomplir bientôt !

Il passa le reste de la journée à acheter de grands miroirs d’acier poli et à les faire transporter dans sa maison.

Sang-Yong avait été favorisé par Sho-Shé-l’Étoile-Immortelle-génie pour lequel il avait une dévotion particulière ; son commerce de librairie avait réussi au delà de ses espérances ; il était doué d’un caractère joyeux, d’une bonne santé et d’un appétit considérable qu’il satisfaisait journellement par les mets les plus délicats.

Cependant il n’était pas heureux. Une idée singulière s’était un jour emparée de son esprit et ne l’avait plus quitté. Il s’était avoué qu’avec toute sa fortune et tout son appétit il resterait toujours un marchand vulgaire, que son manque d’éducation l’empêcherait d’arriver à aucun grade élevé, et il aurait donné tout son appétit et toute sa fortune pour être Mandarin.

Il garda cette pensée pendant un an, mangeant moins, riant moins, le front voilé d’un souci constant ; puis il raisonna son idée froidement, et se demanda ce qu’avaient de plus que lui les Mandarins qu’il enviait. Cette réponse saugrenue se présenta à son esprit : « Ils portent une robe jaune ! Toi, si tu portais une robe jaune, tu recevrais, selon la loi, cent coups de bambou sur les épaules. » Il ne trouva pas d’autre motif à son ambition, et dès lors, un fatal désir se glissa dans son cœur. « Il me faut