Page:Gautier - Le Paravent de soie et d’or, 1904.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
LE FRUIT DÉFENDU

tion molle, un balancement sans cahots, car chaque personne se laissait pousser sans résistance. À la moindre impulsion, venue de près ou de loin, tout le monde obéissait machinalement ; celui qui aurait formé la résolution audacieuse de se diriger vers un but, ou seulement d’aller dans un sens plutôt que dans l’autre, aurait fort risqué de laisser en chemin la meilleure partie de sa toilette et même quelques-uns de ses membres.

Ce double malheur menaçait évidemment le riche et honorable libraire Sang-Yong, héros de cette histoire.

Ce jeune homme de trente ans et sept lunes, d’une tenue irréprochable et d’une figure si aimable qu’on ne pouvait la considérer un instant sans être pris d’un rire immodéré, absolument contraire aux convenances, ce jeune homme semblait la proie d’une idée fixe ; vif et prompt, malgré son embonpoint déjà respectable, il se démenait de toutes ses forces, trouant la foule des coudes, des poings, du front vers les étalages de costumes où se vendait la défroque des grands personnages : il jetait un regard avide parmi les laines et les soies de toutes couleurs, puis, comme découragé, s’éloignait en soupirant.

Au moment où il allait atteindre la dernière et la plus somptueuse boutique d’habillements, deux hommes à cheval se montrèrent tout à coup au coin de la rue des Tam-Tam, repoussant la foule à coups de bâton, et criant à tue-tête : Là ! là ! là ! C’étaient