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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

— Jeune fille, veux-tu me conduire sur l’autre rive ? dit-il.

— Certainement, seigneur, répondit Lon-Foo, n’est-ce pas mon métier de traverser le fleuve à toute heure ?

— Ce métier ne me semble pas digne de toi, dit l’empereur.

— Il me convient beaucoup et je serais incapable d’en exercer un autre, dit Lon-Foo, en éloignant le bateau du rivage.

— Ces jolies mains blanches comme le jade ne sont pas faites pour serrer ces rames grossières. Ce ravissant visage doit craindre les morsures du soleil, continua Hoaï-Tsong. C’est à l’abri du palais impérial qu’il devrait s’épanouir ; c’est un sceptre d’or et de pierreries qui devrait charger cette main délicate.

En entendant ces paroles, Lon-Foo devint très pâle et regarda avec épouvante l’homme assis en face d’elle.

— Tu te moques, seigneur, dit-elle d’une voix tremblante, une pauvre paysanne comme moi ! Je serais une tache d’encre sur du satin blanc.

— À quoi bon dissimuler plus longtemps, Lon-Foo ? dit tout à coup l’empereur. Pourquoi as-tu fui depuis deux mois ? Pourquoi te caches-tu quand je te cherche, en bouleversant tout l’empire ?

— Dieu du ciel ! tu es l’empereur !… s’écria la jeune fille qui lâcha les rames et joignit les mains.