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LA BATELIÈRE DU FLEUVE BLEU

crut entendre à l’intérieur une voix nasillarde qui semblait compter de l’argent. Lon-Foo heurta résolument à la porte, préférant tomber parmi une bande de voleurs qu’entre les mains des hommes de la police qui l’eussent ramenée chez elle.

On ouvrit : la jeune fille entra précipitamment et referma la porte.

— Que viens-tu faire ? s’écria une vieille femme assise sur un monceau de loques et de débris informes ; les femmes de mauvaise vie n’entrent pas chez nous. Je te disais bien de ne pas ouvrir, continua-t-elle en s’adressant à un homme âgé dont la figure hâlée et ratatinée ressemblait à une vieille pomme cuite et qui regardait Lon-Foo d’un air ahuri.

— J’ouvre quand on heurte, dit-il.

— Rassurez-vous, dit Lon-Foo, je suis de bonne famille ; j’ai quitté la maison paternelle pour fuir les mauvais traitements d’une belle-mère. Si j’ai frappé à votre porte, c’était pour éviter la ronde de police.

— Eh bien, attends qu’elle soit passée, dit la vieille avec l’indifférence de quelqu’un trop chargé de soucis pour prendre intérêt aux malheurs des autres.

— Attends qu’elle soit passée, répéta le vieillard. Puis tous deux se remirent à compter des pièces de cuivre, qu’ils remuaient à terre du bout des ongles, et ils ne firent plus la moindre attention à Lon-Foo.

La jeune fille regarda autour d’elle. Une lanterne