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LA BATELIÈRE DU FLEUVE BLEU

— Écoute, Lon-Foo, dit-il, mon beau-père veut me marier avec la fille d’un grand magistrat.

— Est-ce possible ? s’écria Lon-Foo, ignore-t-il donc que ton père et le mien ont décidé que nous nous marierions ensemble ? Ta mère a-t-elle oublié son premier époux au point de ne plus se souvenir de cette solennelle promesse ?

— Depuis qu’elle s’est remariée, ma mère est soumise à son nouveau maître ; elle a essayé cependant de plaider notre cause, mais mon beau-père ne veut rien entendre.

— Peut-il nous contraindre à commettre un crime contre la piété filiale ? Plutôt que de désobéir à mon père mort, je me tuerais à l’instant sur sa tombe.

— Certes, mieux vaut mourir que de manquer à ses devoirs ; mais rien n’est encore désespéré. Écoute, j’ai conçu un projet. : je vais m’enfuir ce soir même de ce pays ; je resterai éloigné, sans donner de mes nouvelles, jusqu’au jour où celle qu’on me destine sera à un autre époux.

Lon-Foo ne répondit rien, mais se mit à pleurer.

— Hélas ! dit Li-Tso-Pé, cette séparation est un malheur, mais elle nous sauve d’un malheur plus grand. Il faut tâcher de raffermir notre cœur… Je vais donc te quitter, Lon-Foo.

— J’avais l’habitude de te voir. Comment pourrai-je supporter ton absence ?

— Aimes-tu mieux que je sois l’époux d’une autre femme, Lon-Foo ?