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YU-PÉ-YA JETANT SA LYRE

Je n’ai pas oublié les paroles de mon fils : au bout de cette petite route, par laquelle monseigneur est venu, il y a un monceau de terre fraîchement remuée : c’est là le tombeau de mon fils. Aujourd’hui il y a juste cent jours que Tsé-Tchi est mort. Pour cet anniversaire, j’apportais un paquet de papiers dorés afin de les brûler sur sa tombe. Je ne pensais guère rencontrer votre Seigneurie.

— Je veux vous suivre jusqu’au tombeau, dit Pé-Ya.

Et il ordonna à son domestique de porter le panier du vieillard.

S’appuyant sur son bâton, il marcha devant, et Pé-Ya, avec son serviteur, le suivit. Ils redescendirent vers l’entrée de la vallée, et bientôt aperçurent, à gauche du chemin, une éminence de terre fraîchement amassée. Pé-Ya s’arrêta et fit un salut solennel.

— Sage frère, de votre vivant, vous étiez un homme supérieur, maintenant que vous avez quitté la terre, vous méritez d’être divinisé. Votre frère ignorant vous salue cette fois pour vous dire un adieu éternel…

Mais il n’en put dire davantage ; il éclata en sanglots et poussa des clameurs si douloureuses, que de tous les points de la montagne, les paysans, les passants, les voyageurs, tout émus en les entendant, accoururent vers le tombeau. Quand ils apprirent que c’était un grand personnage qui sacrifiait sur une tombe,