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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

Tous trois sont là, attardés dans un silence plein de souvenirs. Sur un lit fait de nattes et de tapis, la reine, ou plutôt le roi, — car le mot féminin n’existe pas, qui exprimerait le chef suprême. — La cuisante plaie de son bras l’enfièvre. Tige-d’Or, debout, renouvelle sans cesse l’eau fraîche et les baumes. Sur un escabeau en bois de cèdre, incrusté de nacre, Lée-Line, accablé d’émotion, pleure tout bas, le front dans ses mains.

Fleur-Royale laisse peser sur lui son regard lourd de pensées, et elle dit enfin d’une voix lente, comme si elle achevait tout haut sa rêverie :

— Après tant de jours on te revoit, tu sors de l’oubli de la mort, et l’esprit s’effare devant toi comme en présence d’un fantôme. C’est bien toi cependant, nos yeux n’ont pas encore désappris ta forme. Aussi bien que nous, tu es un rameau de l’antique dynastie des Hung ; le même verger a vu croître notre enfance et fleurir notre jeunesse ; jusqu’au temps où une rafale bouleversa l’enclos. C’est alors que tu disparus et que l’on perdit toute trace de toi. Explique à présent, prince Lée-Line, cet inconcevable exil, et pourquoi, toi qui brillais parmi les illustres, tu es devenu le pareil des sauvages Miao-Tseu, fils des champs incultes.

— Au Maître tout ce que nous sommes appartient, dit Lée-Line, en séchant ses larmes ; tu m’interroges, je dois répondre. Il me faut fouiller, comme la terre d’une tombe que l’on rouvre, l’oubli amassé sur mon