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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

nulle trace de pas… Est-ce que l’ami ne serait pas fidèle ?…

Pé-Ya attendit encore quelques instants.

« Il passe beaucoup de bateaux par ici, pensa-t-il, et celui que je monte n’est pas le même que l’autre fois ; comment mon frère si occupé trouverait-il le temps de chercher quel est le mien ? L’an dernier j’ai joué le kin, et ce fut comme si je l’appelais. J’ai apporté Précieux-Jade, si mon frère l’entend il saura bien me reconnaître. » Ayant ordonné au serviteur d’apporter la table du kin et d’allumer les parfums, il ouvrit l’étui de soie et commença à accorder l’instrument. Dès qu’il effleura les cordes, celle appelée San résonna lugubrement.

Pé-Ya s’arrêta tout ému.

— Pourquoi cette corde rend-elle un son si triste ? s’écria-t-il ; sans doute mon frère est dans le deuil. Il me parlait l’an passé de son père et de sa mère qui sont âgés ; si son père n’est pas mort, c’est sa vieille mère qui l’a quitté. Sa piété filiale juge quelles sont les affaires pressées et celles qui peuvent attendre. Il vaut mille fois mieux manquer à sa parole envers moi que de manquer à ses parents. Demain matin je monterai pour le chercher.

Il fit emporter le kin et descendit pour se coucher. Mais la nuit ne lui apporta aucun repos, le sommeil ne lui ferma pas les yeux un seul instant et il attendit avec impatience la venue du jour. La clarté de la lune tamisée par les stores fit le tour de la cabine,