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YU-PÉ-YA JETANT SA LYRE

vous êtes un des plus grands d’un grand royaume, et moi je suis un vulgaire villageois. Comment oserais-je me hausser jusqu’à vous ? et il y aurait pour vous du déshonneur à vous abaisser jusqu’à moi.

— Je suis connu de tous, dit Pé-Ya, mais très peu d’hommes connaissent mon cœur. J’occupe une petite fonction qui m’oblige à rouler sans cesse dans le vent et la poussière. Si je pouvais conquérir l’amitié d’un grand sage, ce serait comme dix mille joies dans ma vie. Si vous dédaignez la fortune et la noblesse, de quelle sorte suis-je pour vous ?

Il fit signe au serviteur de rallumer le feu dans les cassolettes et d’y jeter des parfums, puis au milieu du salon il se prosternèrent huit fois tous les deux en même temps l’un devant l’autre. Pé-Ya étant l’aîné, il prit le titre de : frère aîné, fidèle jusqu’à la mort ; Tse-Tchi prit le litre de : frère cadet. Cette cérémonie terminée, ils réchauffèrent encore du vin ; et Tse-Tchi invita Pé-Ya à prendre la place d’honneur, et Pé-Ya obéit. Il changea de place les tasses et les bâtonnets, ils s’assirent tous les deux à table, et en causant se donnèrent le titre d’aîné et de cadet.

« Tout ennui se dissipe, quand paraît l’ami avec lequel le cœur s’accorde.

« La parole de celui que l’on a connu dans une émotion commune, en écoutant la musique, on ne se lasse jamais de l’entendre. »

Ils causèrent avec ardeur, et ne s’aperçurent point que la lune pâlissait et que les étoiles deve-