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YU-PÉ-YA JETANT SA LYRE

Maître de son impression. Alors, celui-ci répondit en souriant :

« Tout à l’heure, pendant que je jouais du kin, je voyais, par la fenêtre, un chat qui poursuivait un rat. Je suivais cette chasse, désirant que le rat fut pris et craignant qu’il ne s’échappât. C’était là ma pensée « vorace et sanguinaire ». Malgré moi, je l’ai communiquée aux cordes de l’instrument… »

— Maintenant, continua Pé-Ya, je crois connaître les règles musicales de la sainte Maison, dans leurs plus fins détails. Si moi, très humble, je jouais le kin, avec quelques sentiments dans le cœur, pourriez-vous, maître, en m’écoutant, les deviner ?

— Il est dit dans le Che-Kine[1] : « Ce que les autres ont dans le cœur, je le devine ». Que Votre Grandeur essaie une fois, et moi, pauvre homme, je tâcherai avec mon cœur de décrire. Si je ne le peux pas, que Votre Grandeur me pardonne.

Alors Pé-Ya rajusta la corde à son kin et médita quelques instants.

Sa pensée se porta sur les hauts pics des montagnes et il joua un morceau.

— Ah ! que c’est beau ! s’écria le bûcheron. Votre pensée plane sur les cimes majestueuses des montagnes !…

Pé-Ya, très ému, ne répondit rien, et médita de nouveau. Il joua un autre morceau en pensant à une eau courante.

  1. Le Livre des vers.