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LE PRINCE À LA TÊTE SANGLANTE

lanières pourpres, glisse jusqu’au bout des doigts minces qui le secouent. Il voudrait une coupe d’or pour le recueillir, ce sang, qu’il croit devoir être infiniment précieux.

Penché vers l’eau, le guerrier lave sa blessure, presse cruellement cette bouche douloureuse pour que le sang emporte le poison, si la flèche était vénéneuse ; puis, son compagnon, d’un lambeau de ceinture, le panse.

Alors, pour un moment respirer mieux, ils ôtent leurs casques et découvrent de fiers visages ; l’un d’eux, celui du blessé, d’une beauté extrême !

Le pasteur a laissé échapper un cri, dénoncé sa présence. On le regarde à présent, un autre cri répond au sien.

— Royale sœur, vois donc, le reconnais-tu, l’évadé, le fugitif, celui qu’on croit mort ?

— Je le reconnais.

Et lui murmure, la main sur ses yeux :

— Je rêve ; je ne vous vois pas là, devant moi, vous êtes des fantômes !

— Tu sais notre nom, comme nous savons le tien, prince Lée-Line, toi qui laissas vide ta place, désertas la vie.

De ses mains tendues, il repousse la vision.

— Midi brûle, dit-il, le sang bat mes tempes, mes yeux éblouis voient des flammes ! Vous n’êtes pas réelles !…

Mais la guerrière blessée s’écrie :