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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

— Si le jeune seigneur a voulu me tromper, je dois être, à l’heure qu’il est, bien vengé.

(Bambou-Noir fait entendre un ronflement.)

— Il est vivant ! s’écria l’avare en entrant tout à fait. Mais c’est qu’il dort là comme dans le lit le plus douillet… Est-ce possible ! sa main est chaude ! Son front est moite !… Il a dit vrai ! Ah ! ces bonzes d’Europe… quels sorciers ! J’aurai en ma possession un trésor sans pareil ! Plus un tsin à dépenser, plus un ! Je garderai mon or, tout mon or ! Je l’entasserai ; personne ne l’aura ! On ne peut douter, son front est mouillé de sueur ! Voyons encore, je ne me trompe pas.

(Et il promène encore une fois sa main sur le front de Bambou-Noir.)

— Aïe ! Qu’est-ce que c’est ? Suis-je dans une caverne ? Il me passe des serpents sur la figure, cria le jeune homme en feignant de s’éveiller.

— C’était ma main, jeune phénix, je tâtais…

— Une main glacée ! De quel droit la promenez-vous sur ma figure ? (Il étermue.) Vous m’avez donné un rhume de cerveau. Qui êtes-vous d’abord ? (Feignant de revenir à lui.) Ah ! pardon, vénérable seigneur, ce brusque réveil ! J’étais si loin d’ici : je rêvais que je cueillais des mandarines dans un bosquet d’orangers.

— Des mandarines !… Vous n’avez pas oublié notre marché d’hier au soir ?

— Quoi donc ?