Page:Gautier - Le Paravent de soie et d’or, 1904.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
LA TUNIQUE MERVEILLEUSE

— Si j’avais dormi, j’étais perdu, j’aurais eu tout au moins plusieurs fragments de moi-même complètement gelés.

(Tenant toujours les chiens de faïence, il se glisse sous la table et l’enlève sur son dos.)

— Mon sang commence à circuler. Ah ! Rouille-des-Bois ! ah ! vieux misérable, tu voulais me faire périr ? Ah ! tu fais souffrir de privations la nièce confiée à tes soins, tu gardes sa fortune et refuses de la marier selon les rites, pour ne pas payer la noce ! Eh bien, tu la paieras tout à l’heure, rusé renard. Victime de ta cupidité, tu es tombé dans mon piège, et quand tu t’apercevras que tu es dupé, nous serons hors de la ville, Perle-Fine et moi.

(Le jour éclaire la fenêtre ; il s’arrête un instant.)

— Je n’ai plus froid du tout, j’ai même chaud. Les sages ont bien parlé. Encore un tour et je serai en nage.

— Ah ! tu croyais me trouver gelé ce matin, sec et dur, comme ton cœur d’avare ! Ah ! tu voulais réduire à néant l’invention merveilleuse de la tunique ! Tu l’endosseras, tu l’endosseras, vieux ladre ! et tu verras comme elle chauffe et nourrit son homme.

(On entend des pas.)

Victoire ! Victoire ! le vaincu approche !

(Bambou-Noir repose la table, replace les chiens, se couche et feint de dormir.)
(Rouille-des-Bois met la clé dans la serrure, entr’ouvre la porte, et passe la tête.)