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au milieu des lacs ; je ne l’ai donc pas ramassé dans les fanges du rivage.

— Allons, il vaut un liang d’or.

— C’est-à-dire qu’il coûterait à ton maître trois liangs d’or ; tu m’en donnerais un et tu en garderais deux. Le marché ne me convient pas.

Le pêcheur fit mine de ramasser son poisson. Le cuisinier tourna le dos et s’éloigna ; mais il revint.

— Je te donnerai un liang d’argent avec le liang d’or.

Le marchand secoua la tête, plaça résolument le poisson entre ses deux épaules, et se dirigea vers la porte.

Or, depuis un moment, un personnage d’aspect illustre, ayant à son côté un jeune serviteur, était venu s’accouder au rebord de la galerie. Il avait regardé la scène qui se passait dans la cour ; il avait écouté les propos du cuisinier déloyal. C’était Kouang-Tchou lui-même, le Chef des Dix Mille Eunuques. Il médita pendant quelques instants ; puis un sourire cruel, conforme sans doute à quelque féroce pensée, crispa sa bouche.

— Voleurs ! drôles ! cria-t-il, rentrez dans les cuisines !

Les cuisiniers, épouvantés, disparurent comme des Rou-lis.

— Pêcheur, reprit le mandarin, je t’achète ton poisson.

Le pêcheur salua profondément.

— Toi, continua Kouang-Tchou en s’adressant au jeune serviteur qui l’accompagnait, va donner