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sommet des portes triomphales, dont les triples toitures s’estompaient dans le matin vaporeux.

La cinquième heure sonna. Dans les pavillons fortifiés du bastion septentrional les soldats commencèrent à s’agiter, et bientôt le gong d’airain ébranla la citadelle de ses vibrations profondes. Alors les portes pourpres étoilées de clous d’or s’ouvrirent largement ; un pont mobile s’abaissa, et les sentinelles tartares apparurent, la pique à l’épaule. L’homme qui pliait sous le poids d’un Poisson Jaune mit le pied sur le pont et s’avança vers la porte.

— Eh ! parc à poux ! lui cria une sentinelle, ne sais-tu pas que les estropiés, les mendiants et les gueux n’entrent pas dans la noble Cité Jaune ?

— Je suis aussi droit, répondit l’homme, qu’on peut l’être sous un fardeau lourd comme le mien, et je ne suis ni sourd ni aveugle, car j’entends ta voix de bœuf à jeun, et je vois ta face de carpe de Tartarie ; je n’ai aucune infirmité cachée ; je ne t’ai pas tendu la main en glapissant mes misères : donc je ne suis pas plus mendiant qu’estropié.

— Mais, répliqua le soldat, tu es un gueux ; par conséquent, tu n’entreras pas.

Et il abaissa sa pique devant l’homme.

— Soit, dit celui-ci. Le Fils du Ciel sera privé de poisson à son repas du soir, et toi demain tu seras mis à la cangue.

Là-dessus il fit mine de s’en retourner.

— Où donc allais-tu avec ton poisson ? demanda la sentinelle avec un commencement d’inquiétude.

— Que t’importe, puisque je m’en vais ?